«It’s a practice that when done empirically is a better guarantee of a successful digital product than just crossing your fingers and writing a bunch of code.»

Préambule

L’auteur, professeur et conférencière Jaime Levy était présente à Tout le monde UX le 13 avril pour nous entretenir au sujet de son nouveau livre, UX strategy. Bien que le design UX se soit popularisé dans la dernière décennie, le UX strategy demeure encore une profession nichée avec moins de 500 professionnels actifs et identifiables sur LinkedIn dans tout le Canada. Comme le souligne Jaime, être un stratège UX nécessite de l’expérience professionnelle. En fait, elle estime un minimum de 10 000 heures de travail (équivalant à un peu moins de 5 ans) avant de pouvoir apposer ce titre sur son curriculum vitae.

Le «”This is bullshit!” moment»

Jaime a débuté la conférence en nous expliquant ce qui l’a amené à s’intéresser au UX strategy. En début de carrière, elle était designer d’interface. Elle s’occupait de réaliser l’architecture, les maquettes filaires ainsi que le design des interfaces pour ses clients. Il lui a fallu peu de temps pour réaliser qu’elle rencontrait systématiquement le même type de problèmes. Les données utilisées étaient imprécises, subjectives, d’une pertinence discutable et menaient à des solutions souvent plus complexes qu’il n’était nécessaire. De plus, ces problèmes la poussaient à prendre des décisions importantes à l’aveuglette. Elle se refusait à travailler dans ces termes.

 

    Les débuts de Jaime en stratégie UX

    Afin d’optimiser son contexte de travail, elle s’est donné l’objectif de trouver une solution viable. Elle a donc entrepris de faire des recherches sur le UX strategy. Le premier constat qui s’est imposé à elle, c’est que les sources sur ce sujet sont rares. Les objectifs poursuivis dans le travail lié à l’expérience utilisateur allaient toutefois de pair avec les objectifs d’entreprise. Le UX strategy est donc une discipline à l’intersection du UX design et la stratégie d’entreprise. Il s’agit d’un plan d’action permettant de vérifier à la fois si l’expérience utilisateur d’un produit est en accord avec les objectifs d’entreprise et si elle règle des problèmes des utilisateurs dans un contexte réel.

    Bien qu’elle fut en mesure de décrire adéquatement les critères à remplir pour établir une stratégie efficace, Jaime a dû faire face à une seconde problématique. Celle de trouver des techniques optimisant les ressources, l’investissement financier et le temps afin de pouvoir baser les stratégies sur des données réelles et pertinentes.

    Or, il s’agit également de deux éléments très limités dans la plupart des projets que rencontreront les professionnels de l’expérience utilisateur. Cette réflexion l’a donc menée à construire une méthode de travail qui permet d’appliquer le UX Strategy dans un contexte professionnel réel.

    Le UX Strategy Framework de Jaime Levy

    L’auteur nous a présenté le framework qu’elle a conçu pour améliorer le processus en UX. Ce framework comprend 4 grands aspects:

    1. La stratégie d’entreprise (Business strategy)
    2. Une valeur ajoutée innovante (Value innovation)
    3. Une recherche utilisateur valide
    4. Killer UX Design

    1- La stratégie d’entreprise (Business strategy)

    «Business Strategy – Kicking the Ass of ALL your Competitor»

    La stratégie d’entreprise est en fait sa vision globale, sa raison d’être. C’est l’identification de ses lignes directrices et de la manière dont elle se positionne dans l’industrie. Afin d’illustrer ce concept, Jaime Levy s’est basée sur l’exemple de deux compagnies de renommée mondiale : Walmart et Starbuck.

    Levy nous a d’abord présenté l’exemple de Walmart. Sa stratégie d’entreprise repose sur l’aspect monétaire; l’entreprise s’assure par tous les moyens d’offrir de façon systématique le prix le plus bas sur le marché pour l’ensemble de ses produits. Le consommateur est donc assuré de faire des économies sur ses achats.

    Quant à elle, l’entreprise Starbuck aborde le marché selon un tout autre point de vue. Actuellement, le café offert dans les succursales Starbuck est l’un des plus chers sur le marché, mais l’entreprise ne manque pas de clients. Cette rentabilité s’explique par le fait que le produit offert au consommateur va au-delà du café commandé. C’est l’expérience globale offerte aux clients: la qualité du service, l’ambiance offerte par les succursales, l’application mobile, etc. Ceci permet à Starbuck de vendre ses produits plus chers que ses concurrents tout en demeurant rentable.

    Ce sont ce type d’axes d’entreprise qui guide la réflexion subséquente à l’établissement de la stratégie d’expérience utilisateur.

    Lecture suggérée par Jaime Levy sur le même sujet  :

    Competitive Advantage par Michael E. Porter

    2- Valeur innovante (Value innovation)

    «Value innovation – Offering a Leap in Value for customer»

    Un second aspect important présenté par Levy concerne la valeur ajoutée d’un produit. Il est nécessaire d’établir une proposition de valeur qui soit innovante. Selon Levy, ce qui distingue une valeur ajoutée d’une valeur ajoutée innovante est sa capacité à changer un modèle mental chez un utilisateur. Cette valeur ajoutée doit également pouvoir être expérimentée par l’utilisateur.

    Un modèle mental est l’ensemble des étapes que nous croyons nécessaire à l’accomplissement d’une tâche. Ce concept prend tout son sens lorsqu’on s’arrête aux changements de modèles mentaux créés par les innovations suivantes:

    1. Uber:
      Contexte initial: Autostop, une pratique non sécuritaire
      Proposition de Uber: La manière la plus facile et rapide d’obtenir un transport peu importe votre localisation sans avoir à vous soucier d’avoir de la liquidité sur vous.
    2. Airbnb:
      Contexte initial: Craiglist et autres sites offrant peu d’information et aucune sécurité pour ses utilisateurs.
      Proposition d’Airbnb: un marché communautaire permettant aux utilisateurs de lister, découvrir et réserver des espaces uniques partout dans le monde de façon sécuritaire grâce à Internet.
    3. Snapchat:
      Contexte initial: Facebook, Instagram, messages textes et autres applications qui permettent l’échange de contenu retraçable. Demande un certain investissement en terme de temps.
      Proposition Snapchat: la manière la plus rapide de partager des messages, photos, vidéos, textes et des dessins pour une période de temps déterminée et limitée.

    La valeur ajoutée innovante peut être créée en mettant d’abord l’accent sur l’utilité primaire d’un produit, puis en la rendant indispensable dans notre quotidien.

    Au-delà de la détermination de cette valeur ajoutée, l’entreprise doit valider que cette valeur est non seulement innovante, mais également concurrentielle. Il est donc nécessaire, selon Jaime Levy, de s’intéresser à deux types de concurrents.

    • Les concurrents directs: Il s’agit des entreprises offrant une proposition de valeur identique ou fortement similaire à la vôtre à vos consommateurs actuels ou futurs.
    • Les concurrents indirects: Ce sont des entreprises qui offrent une proposition de valeur ajoutée similaire à la vôtre ou qui ciblent exactement les mêmes consommateurs sans offrir exactement la même proposition de valeur ajoutée

    Jaime Levy insiste ici sur le caractère impératif de conduire une recherche et une analyse de la compétition pour connaître votre position sur le marché.

    L’innovation incrémentielle versus l’innovation radicale

    Une fois la position dans le marché étudiée, deux types d’innovation peuvent être accomplis: l’innovation incrémentielle ou l’innovation radicale. L’innovation incrémentielle se produit dans le cadre d’une problématique bien comprise et se situe dans un marché existant et prévisible. Le consommateur y est réceptif et possède des connaissances préalables à l’utilisation du produit proposé. La mise en place d’une telle innovation repose sur des méthodes de conception et de mise en marché traditionnelles.

    L’innovation radicale, quant à elle, propose un changement drastique, qui modifie les règles du jeu. Le consommateur type ne possède pas, dans ce contexte, de connaissances préalables à l’utilisation du produit proposé. Les méthodes de conception et de mise en marché traditionnelles échouent à mettre ce type de produit en place. L’utilisation de méthodes alternatives apparait donc nécessaire.
    (from Lean entrepreneur)

    Comment obtenir une innovation radicale:

    1. Offrir un ensemble de fonctionnalités qui proviennent de solutions alternatives existantes
      Exemple: Meetup + système transactionnel = Evenbrite
    2. Transcender la proposition de valeur d’une plus grande plateforme déjà existante
      Exemple: Google Maps + crowdsourcing = Waze
    3. Consolider une expérience utilisateur disparate en une seule solution.
      Exemple: Téléphone intelligent – Youtude = Vine

    Suggestion de lecture de Jaime Levy sur le même sujet:

    3- Recherche utilisateur valide (Validated user research)

    «Validated user research – Evidence of a Needed Solution»

    Le troisième pilier d’une stratégie d’expérience utilisateur est la recherche et elle doit être réalisée avec rigueur. Il s’agit d’un processus linéaire durant lequel le produit est traité comme une expérimentation. Une expérimentation est une procédure entreprise pour faire une découverte, tester une hypothèse ou démontrer un fait connu.

    Une recherche utilisateur est en processus de validation lorsque le produit est abordé comme une expérimentation testée par des consommateurs hypothétiques. L’expérience utilisateur est validée lorsque des métriques ont été mesurées et qu’elles confirment la pertinence de la proposition. Jaime Levy souligne l’importance du contexte et de la rigueur associés au déroulement de ces recherches.

    La recherche utilisateur traditionnelle (ethnography)

    La recherche utilisateur traditionnelle consiste à aller observer les utilisateurs dans leur contexte d’utilisation réel et de s’intéresser à leur perception et à leurs problèmes potentiels. L’idée consiste à les comprendre et faire preuve d’empathie face à leur expérience. Dans un contexte digital, cela revient à identifier nos personas clés et à leur soumettre des prototypes pour recueillir leurs perceptions sur l’utilisation de ceux-ci. Les prototypes doivent présenter les éléments essentiels de la proposition de valeur ajoutée

    Ensuite, ces prototypes doivent testés avec des utilisateurs dans un environnement réel et avec les parties prenantes de l’entreprise mandante placées légèrement en retrait à titre d’observateur. Il est essentiel que ces parties n’interviennent pas dans le processus pour qu’elles puissent constater l’appréciation réelle des consommateurs. Dans cet esprit, Jaime Levy les assigne plutôt à la prise de notes. Celle-ci doit être faite de façon systématique, à l’aide d’une grille aux critères prédéterminés.

    Suggestion de lecture de Jaime Levy sur le même sujet:

    4- Killer UX Design

    «Killer UX design = Providing an ADDICTIVE User Experience»

    Finalement, le dernier pilier de la stratégie d’expérience utilisateur est la conception d’un design d’expérience utilisateur. Selon Levy, un «Killer UX Design» est réalisé lorsque l’interface permet à l’utilisateur ou au consommateur d’accomplir ses objectifs avec un minimum de contraintes.

    «In a word, Killers UX Design enables an experience that is FRICTIONLESS!»

    Ce design peut être réalisé grâce à l’accomplissement de 4 étapes:

    1. Identifier les fonctionnalités clés pour les utilisateurs clés
    2. Comparer ces éléments clés sur plusieurs produits
    3. Collecter des données empiriques en effectuant des tests sur des «landings pages»
    4. Concevoir l’expérience utilisateur comme un entonnoir menant à une conversion

    «Killer UX = Better Conversion»

    Conclusion

    Jaime Levy a conclu sa présentation sur les points importants à garder en tête:

    D’abord, une expérience utilisateur unique et excellente couplée au bon modèle d’affaires peut :

    • mener à définir un produit radicalement innovant
    • aider l’équipe et les dirigeants d’entreprise à partager une vision commune pour plus d’efficacité.

    Finalement, en faisant tout ce qui est en notre pouvoir pour valider la stratégie d’expérience utilisateur, nous réduisons le risque de concevoir un produit dont personne ne voudra!

    «P.S. Your existence is what you make of it!»

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